L' ennemi naturel
Un film écrit et réalisé par Pierre Erwan GUILLAUME
Avec : Jalil Lespert, Aurélien Recoing, Patrick Rocca, Florence Loiret-Caille,
Doria Achour, Lucy Russel, Anne Coessens, Alexandra London, Guillaume Bienvenu, Eric Savin, Loïc Houdré, Fred Ulysse, Anne-Louise Trividic...
SYNOPSIS :
Nicolas Luhel, jeune lieutenant de police judiciaire, débarque à Plouescat, une localité du Finistère Nord.
La justice veut éclaircir les circonstances de la mort d’un adolescent, précipité de la digue du port voisin. La mère du garçon accuse son ex-mari (Serge Tanguy) d’être l’auteur du crime. Mais les mobiles de l’infanticide demeurent obscurs.
La violence du drame, la sauvagerie des paysages, la solitude… l’ambiance où baigne jour et nuit Luhel va bientôt réveiller en lui angoisses et pulsions inconnues. Fragilisé par le suicide du témoin principal, il se laisse contaminer par la trouble fascination qu’exerce Tanguy sur son entourage…
Drame / 1h37 / 2004
© Movimento
Avec le soutien de Arte France Cinéma, Zephyr films, Mikros Image, avec la participation de Canal +,
du CNC, avec le soutien de la Région Centre, la Fondation Gan, le Programme
Média de la Communauté Européenne.
Avec : Jalil Lespert, Aurélien Recoing, Patrick Rocca, Florence Loiret-Caille,
Doria Achour, Lucy Russel, Anne Coessens, Alexandra London, Guillaume Bienvenu, Eric Savin, Loïc Houdré, Fred Ulysse, Anne-Louise Trividic...
SYNOPSIS :
Nicolas Luhel, jeune lieutenant de police judiciaire, débarque à Plouescat, une localité du Finistère Nord.
La justice veut éclaircir les circonstances de la mort d’un adolescent, précipité de la digue du port voisin. La mère du garçon accuse son ex-mari (Serge Tanguy) d’être l’auteur du crime. Mais les mobiles de l’infanticide demeurent obscurs.
La violence du drame, la sauvagerie des paysages, la solitude… l’ambiance où baigne jour et nuit Luhel va bientôt réveiller en lui angoisses et pulsions inconnues. Fragilisé par le suicide du témoin principal, il se laisse contaminer par la trouble fascination qu’exerce Tanguy sur son entourage…
Drame / 1h37 / 2004
© Movimento
Avec le soutien de Arte France Cinéma, Zephyr films, Mikros Image, avec la participation de Canal +,
du CNC, avec le soutien de la Région Centre, la Fondation Gan, le Programme
Média de la Communauté Européenne.
Bande annonce
Prix du meilleur film Lisbonne 2005
Prix du meilleur acteur festival Asturies 2006.
Revue de presse...
L'Humanité :
Le Parisien
Le Figaro Le Monde
Autres extraits de presse....
"Un très beau sujet sur le désir refoulé, la difficulté de s'accepter entièrement et le courage d'affronter l'inconnu... Pierre Erwan Guillaume va jusqu'au bout de sa quête d'une vérité intime... Deux grands acteurs... L’œuvre est touchante… "
Christine Haas, PARIS MATCH
"...affleure sous cette histoire moins sordide qu'elle n'en a l'air une évocation iodée du paradis perdu de l'enfance, concrétisée par les lieux que le réalisateur sait filmer avec simplicité..." POSITIF
"Le trouble croissant de l'enquêteur face à son suspect... ne manque ni d'atmosphère ni de rythme." LE CANARD ENCHAÎNÉ
"Beauté nocturne de rivages bretons somptueusement filmés. L'EXPRESS
"Un face à face intense..." CINEFIL MAG
"Étonnant" OHLA
"Excellent" ILLICO
Entretien avec Pierre Erwan Guillaume
Quel est votre parcours ?
J’ai passé mon enfance en Bretagne, à 25 km de la digue qu’on voit dans le film.
Après un bac D, très décevant pour mes parents, j’ai suivi sur leurs conseils des études de droit, à Brest. Et puis, j’ai rusé en prétendant que je voulais me spécialiser dans le droit international, ce qui m’obligeait à monter à Paris. Je me suis alors gavé de films et j’ai passé le concours de la Femis où je me suis spécialisé en scénario, tout en enchaînant les petits boulots, parce que mes parents m’avaient coupé les vivres.
C’est là que vous vous êtes mis à écrire «pour les autres» ?
J’ai commencé à écrire des courts métrages avec mes camarades de promotion : Orso Miret, puis Jean Paul Civeyrac («La Vie selon Luc») et Hélène Angel («La Vie parisienne»). L’école vous vaccine contre la peur d’écrire : vous n’avez pas le choix, il faut se plier aux exercices, pas question d’avoir des problèmes d’inspiration. Et puis vous êtes tout de suite confronté à la réalité puisque vous travaillez avec des réalisateurs, que les films se font et qu’ils sont montrés et critiqués.
projet d'affiche (c) Antoine Paoletti
À la sortie de la Femis, j’ai continué à travailler avec Jean Paul Civeyrac sur son premier long métrage, «Ni d’Eve, ni d’Adam», d’autres anciens « fémisards » m’ont contacté, comme Solveig Anspach avec laquelle j’ai écrit «Haut les cœurs ! ».
Qu’est-ce qui vous pousse à réaliser deux courts métrages et à passer à l’écriture de votre premier long ?
J’avais l’impression de tourner un peu en rond dans mes collaborations et de me censurer. Même si j’avais très peur du métier de réalisateur, j’ai décidé de tourner un premier court métrage « Les fourmis rouges » et je me suis rendu compte que je prenais un pied monumental à mettre en scène une histoire que j’avais écrite, alors la peur est tombée. J’ai fait un second court qui a eu un peu de succès « Bonne résistance à la douleur » et j’ai décidé de passer au long. L’histoire de «L’Ennemi naturel», j’y pensais depuis longtemps. J’en avais des bribes depuis l’adolescence… Au départ, il y avait le paysage et l’histoire de famille. La confrontation entre les deux hommes est venue ensuite…
J’ai passé mon enfance en Bretagne, à 25 km de la digue qu’on voit dans le film.
Après un bac D, très décevant pour mes parents, j’ai suivi sur leurs conseils des études de droit, à Brest. Et puis, j’ai rusé en prétendant que je voulais me spécialiser dans le droit international, ce qui m’obligeait à monter à Paris. Je me suis alors gavé de films et j’ai passé le concours de la Femis où je me suis spécialisé en scénario, tout en enchaînant les petits boulots, parce que mes parents m’avaient coupé les vivres.
C’est là que vous vous êtes mis à écrire «pour les autres» ?
J’ai commencé à écrire des courts métrages avec mes camarades de promotion : Orso Miret, puis Jean Paul Civeyrac («La Vie selon Luc») et Hélène Angel («La Vie parisienne»). L’école vous vaccine contre la peur d’écrire : vous n’avez pas le choix, il faut se plier aux exercices, pas question d’avoir des problèmes d’inspiration. Et puis vous êtes tout de suite confronté à la réalité puisque vous travaillez avec des réalisateurs, que les films se font et qu’ils sont montrés et critiqués.
projet d'affiche (c) Antoine Paoletti
À la sortie de la Femis, j’ai continué à travailler avec Jean Paul Civeyrac sur son premier long métrage, «Ni d’Eve, ni d’Adam», d’autres anciens « fémisards » m’ont contacté, comme Solveig Anspach avec laquelle j’ai écrit «Haut les cœurs ! ».
Qu’est-ce qui vous pousse à réaliser deux courts métrages et à passer à l’écriture de votre premier long ?
J’avais l’impression de tourner un peu en rond dans mes collaborations et de me censurer. Même si j’avais très peur du métier de réalisateur, j’ai décidé de tourner un premier court métrage « Les fourmis rouges » et je me suis rendu compte que je prenais un pied monumental à mettre en scène une histoire que j’avais écrite, alors la peur est tombée. J’ai fait un second court qui a eu un peu de succès « Bonne résistance à la douleur » et j’ai décidé de passer au long. L’histoire de «L’Ennemi naturel», j’y pensais depuis longtemps. J’en avais des bribes depuis l’adolescence… Au départ, il y avait le paysage et l’histoire de famille. La confrontation entre les deux hommes est venue ensuite…
Affiche allemande
Le paysage joue un rôle à part entière dans l’histoire ?
Ce paysage n’est ni romantique, ni pittoresque —il n’y a pas plus de petit port de pêche que de calvaires bretons dans le film !—, il est presque abstrait. Pour moi c’est autant la Bretagne qu’un paysage de tragédie grecque. Je ne fréquentais pas cet endroit plus qu’un autre, quand j’étais enfant, mais il m’a marqué et a beaucoup stimulé mon imagination. Surtout ces granits gigantesques empilés autour d’une digue en béton dans une impression de chaos total alors qu’ils sont là depuis des millions d’années. J’aimais bien l’idée de faire débarquer le jeune lieutenant Nicolas Luhel dans cet environnement primitif, organique. Luhel est une sorte d’ «adulte vierge». Il s’est fabriqué une vie bien réglée. Il a une femme, un plan de carrière, il vient d’avoir un bébé. Il ne s’est jamais posé de questions sur lui-même, sur ses désirs refoulés, sur la profondeur de ses sentiments. Il se retrouve soudain déstabilisé, à la fois par les autres protagonistes qui vivent entièrement leurs pulsions et leurs passions, et aussi par ce paysage brut et aride qui ne permet pas de se mentir. J’avais envie de partir d’un personnage qui n’a pas forcément les attributs du héros, il a l’air faible, étriqué, maladroit, et pourtant c’est grâce à cette fragilité-là qu’il ira plus loin qu’un autre et deviendra vraiment héroïque.
L’autre personnage, Serge Tanguy, fait partie du paysage ? Il est aussi imprévisible ?
Tanguy a les mêmes qualités que ce paysage, il possède cette force indiscutable, cette sensualité débridée, avec un côté presque rabelaisien : Il baise, il jouit, il féconde ! Il incarne la virilité avec tout ce qu’elle a d’attirant mais aussi de vulgaire. Tanguy est une « nature » qui ne se retient pas. Du coup ça arrangerait bien Luhel de pouvoir le résumer à un monstre. Mais Tanguy est plus complexe qu’il en a l’air. Il renvoie Luhel aux questions essentielles : qu’est-ce qu’être un homme ? Qui est mauvais, qui est bon ? Où est le vrai courage ? Et surtout : où est la beauté ? Est-ce qu’elle est dans la transparence et les bons sentiments, ou bien dans quelque chose de plus complexe et de moins lisse ?
Pourquoi avoir choisi une intrigue de polar —la mort d’un adolescent et l’enquête qui s’ensuit- ?
Il n’y a pas l’ombre d’un flingue dans ce film. Ce qui m’intéresse dans le fait divers policier, c’est d’aborder ce monde où le passage à l’acte est possible. Accéder à cette part d’humanité effrayante, qui nous échappe et nous fascine en même temps, qu’on réussit d’habitude à repousser en dehors nos vies. Je voulais confronter Luhel à un univers dans lequel il ne serait jamais allé sans une obligation professionnelle. Il croyait avoir choisi un métier où les choses étaient claires : la loi, l’autorité, le devoir... Et puis il découvre que rien n’est clair, que l’ordre des choses, l’ordre du monde, est un truc complètement aléatoire, complètement chaotique et que la vérité est parfois dans le désordre. Luhel a construit sa vie sur quelque chose de rassurant mais d’incomplet. Sans le savoir il est déjà en déséquilibre. L’histoire l’oblige à abandonner tous ses repères, à se mettre en danger. Pour changer, parfois on est obligé d’aller jusqu’à l’impasse, jusqu’à ne plus avoir le choix. C’est dangereux de s’accepter entièrement, c’est dangereux d’affronter l’inconnu, de ne pas se ranger dans les codes d’un milieu. Mais en même temps c’est ça qui vaut la peine : on peut s’y égarer, se retrouver à poil, s’y détruire, mais quand on arrive à y survivre, on a tout gagné.
Les femmes du film sont plus clairvoyantes que les hommes ?
La question du film c’est : «qu’est-ce qu’on fait des pulsions qui nous dérangent ?». Tous les personnages essaient de concilier leurs désirs avec la réalité, les femmes en effet semblent mieux y parvenir, de façon plus mûre, plus responsable, mais est-ce vraiment de la clairvoyance ? Je crois qu’il faudrait faire un film sur chacune d’entre elles pour y répondre. Et puis, au milieu, il y a la jeune-fille, Adèle. C’est un personnage absolu et jusqu’au-boutiste. Je ne sais pas exactement s’il faut la considérer comme une femme ou comme une enfant, mais son intransigeance met tout le monde au pied du mur.
Le film joue beaucoup sur le réel et l’imaginaire, sur ce qui est vrai ou faux. Certains fantasmes sont affichés comme tel, mais il y a également plusieurs scènes, notamment nocturnes, dont on pourrait penser qu’elles n’ont pas eu lieu et sont du domaine du rêve ?
J’étais à la recherche d’une vérité intime. J’ai essayé d’aller le plus loin possible dans l’exploration de nos fonctionnements, de ce qui nous détermine. Contrairement à un film naturaliste qui chercherait une vérité factuelle, le fantasme fait ici partie de la réalité. Je ne pense pas qu’on ne soit que le rôle qu’on joue socialement : on est traversé par des tas d’autres pulsions et même si on les cache, si on les maîtrise, elles contaminent notre comportement et nos rapports avec les autres, beaucoup plus qu’on ne veut bien le dire. Par exemple, si vous faites un rêve érotique pendant la nuit mettant en scène quelqu’un avec qui vous n’avez qu’un rapport de travail, le lendemain vous vous sentirez un peu bizarre face à cette personne. Malgré vous, ce rêve va faire partie de votre réalité de ce matin-là.
Comment avez-vous travaillé la mise en scène ?
La logique des scènes était celle du ressenti, de ce qui ne se montre pas, justement. Par exemple la scène où Tanguy vient chercher Luhel à son hôtel, la nuit, et l’empoigne par surprise : de par le fait de l’action, des acteurs, de la mise en place, elle a une réalité. Mais sa légère incongruité dans le cours du récit crée déjà un décalage. Et le fait de la filmer comme Luhel l’a ressentie, voire s’en souviendra, plutôt que comme elle s’est effectivement déroulée, crée un léger sentiment d’irréalité.
De même les scènes fantasmées du film font partie intégrante du récit. Elles sont très marquées, elles se fichent du réalisme comme du bon goût, elles arborent la part de trivialité du désir. Je ne veux pas l’éluder cette part-là, donc je la filme. Je ne veux pas aller jusqu’à l’extrême émotion où ce désir va plonger Luhel en l’enjolivant. Pour moi, tout ça fait partie de la même réalité et il faut s’arranger avec l’un comme avec l’autre. Si l’on élude l’un, on décrédibilise l’autre. À la mise en scène, je n’avais pas le droit de me censurer. Je devais oser ces plans un peu outrés de fantasmes, autant que la simplicité d’un plan fixe qui traque la vérité d’un instant, ou encore ces scènes de nuits américaines retravaillées en numérique, juste pour retrouver la sensation du souvenir d’une nuit étoilée qu’aucune pellicule ne permet de capter.
Comment avez-vous travaillé avec Jalil Lespert et Aurélien Recoing ? J’avais déjà tourné avec Jalil Lespert en 1998 dans mon court métrage «Bonne résistance à la douleur». Il avait, dès ses débuts, une présence à l’image extrêmement forte, charnelle, et un naturel inné. Plus il évolue, plus il arrive à apporter une complexité et une profondeur à ses personnages, sans perdre ce naturel. C’est un acteur très intéressant à diriger et à filmer. Il n’est pas forcément docile, il se révolte, il discute, mais au bout du compte à chaque fois il plonge, il va au bout des choses et il continue à me surprendre.
Aurélien Recoing, je l’avais vu dans plusieurs films. Il possède également cette présence physique indéniable. C’est un acteur très réfléchi, très construit dans son rapport à son métier. Il est en perpétuel travail, dans la précision, l’ajustement. À l’écriture, je n’arrivais pas vraiment à mettre un visage sur le personnage de Tanguy, il fallait un acteur séduisant, mais aussi puissant, intrigant… et qui possède une part de trivialité… tout en demeurant fascinant… Ce n’était pas du tout évident de trouver un acteur qui parvienne à exprimer tout ça, non seulement par son jeu, mais par sa présence, par son corps. Nous avons beaucoup répété, Aurélien et moi, avant le tournage, il a suivi une préparation physique, et il est parvenu à tout réunir, en donnant une espèce d’évidence à son personnage.
Propos recueillis à Paris, septembre 2004.
Ici une jaquette non assumée par le réalisateur...
Ce paysage n’est ni romantique, ni pittoresque —il n’y a pas plus de petit port de pêche que de calvaires bretons dans le film !—, il est presque abstrait. Pour moi c’est autant la Bretagne qu’un paysage de tragédie grecque. Je ne fréquentais pas cet endroit plus qu’un autre, quand j’étais enfant, mais il m’a marqué et a beaucoup stimulé mon imagination. Surtout ces granits gigantesques empilés autour d’une digue en béton dans une impression de chaos total alors qu’ils sont là depuis des millions d’années. J’aimais bien l’idée de faire débarquer le jeune lieutenant Nicolas Luhel dans cet environnement primitif, organique. Luhel est une sorte d’ «adulte vierge». Il s’est fabriqué une vie bien réglée. Il a une femme, un plan de carrière, il vient d’avoir un bébé. Il ne s’est jamais posé de questions sur lui-même, sur ses désirs refoulés, sur la profondeur de ses sentiments. Il se retrouve soudain déstabilisé, à la fois par les autres protagonistes qui vivent entièrement leurs pulsions et leurs passions, et aussi par ce paysage brut et aride qui ne permet pas de se mentir. J’avais envie de partir d’un personnage qui n’a pas forcément les attributs du héros, il a l’air faible, étriqué, maladroit, et pourtant c’est grâce à cette fragilité-là qu’il ira plus loin qu’un autre et deviendra vraiment héroïque.
L’autre personnage, Serge Tanguy, fait partie du paysage ? Il est aussi imprévisible ?
Tanguy a les mêmes qualités que ce paysage, il possède cette force indiscutable, cette sensualité débridée, avec un côté presque rabelaisien : Il baise, il jouit, il féconde ! Il incarne la virilité avec tout ce qu’elle a d’attirant mais aussi de vulgaire. Tanguy est une « nature » qui ne se retient pas. Du coup ça arrangerait bien Luhel de pouvoir le résumer à un monstre. Mais Tanguy est plus complexe qu’il en a l’air. Il renvoie Luhel aux questions essentielles : qu’est-ce qu’être un homme ? Qui est mauvais, qui est bon ? Où est le vrai courage ? Et surtout : où est la beauté ? Est-ce qu’elle est dans la transparence et les bons sentiments, ou bien dans quelque chose de plus complexe et de moins lisse ?
Pourquoi avoir choisi une intrigue de polar —la mort d’un adolescent et l’enquête qui s’ensuit- ?
Il n’y a pas l’ombre d’un flingue dans ce film. Ce qui m’intéresse dans le fait divers policier, c’est d’aborder ce monde où le passage à l’acte est possible. Accéder à cette part d’humanité effrayante, qui nous échappe et nous fascine en même temps, qu’on réussit d’habitude à repousser en dehors nos vies. Je voulais confronter Luhel à un univers dans lequel il ne serait jamais allé sans une obligation professionnelle. Il croyait avoir choisi un métier où les choses étaient claires : la loi, l’autorité, le devoir... Et puis il découvre que rien n’est clair, que l’ordre des choses, l’ordre du monde, est un truc complètement aléatoire, complètement chaotique et que la vérité est parfois dans le désordre. Luhel a construit sa vie sur quelque chose de rassurant mais d’incomplet. Sans le savoir il est déjà en déséquilibre. L’histoire l’oblige à abandonner tous ses repères, à se mettre en danger. Pour changer, parfois on est obligé d’aller jusqu’à l’impasse, jusqu’à ne plus avoir le choix. C’est dangereux de s’accepter entièrement, c’est dangereux d’affronter l’inconnu, de ne pas se ranger dans les codes d’un milieu. Mais en même temps c’est ça qui vaut la peine : on peut s’y égarer, se retrouver à poil, s’y détruire, mais quand on arrive à y survivre, on a tout gagné.
Les femmes du film sont plus clairvoyantes que les hommes ?
La question du film c’est : «qu’est-ce qu’on fait des pulsions qui nous dérangent ?». Tous les personnages essaient de concilier leurs désirs avec la réalité, les femmes en effet semblent mieux y parvenir, de façon plus mûre, plus responsable, mais est-ce vraiment de la clairvoyance ? Je crois qu’il faudrait faire un film sur chacune d’entre elles pour y répondre. Et puis, au milieu, il y a la jeune-fille, Adèle. C’est un personnage absolu et jusqu’au-boutiste. Je ne sais pas exactement s’il faut la considérer comme une femme ou comme une enfant, mais son intransigeance met tout le monde au pied du mur.
Le film joue beaucoup sur le réel et l’imaginaire, sur ce qui est vrai ou faux. Certains fantasmes sont affichés comme tel, mais il y a également plusieurs scènes, notamment nocturnes, dont on pourrait penser qu’elles n’ont pas eu lieu et sont du domaine du rêve ?
J’étais à la recherche d’une vérité intime. J’ai essayé d’aller le plus loin possible dans l’exploration de nos fonctionnements, de ce qui nous détermine. Contrairement à un film naturaliste qui chercherait une vérité factuelle, le fantasme fait ici partie de la réalité. Je ne pense pas qu’on ne soit que le rôle qu’on joue socialement : on est traversé par des tas d’autres pulsions et même si on les cache, si on les maîtrise, elles contaminent notre comportement et nos rapports avec les autres, beaucoup plus qu’on ne veut bien le dire. Par exemple, si vous faites un rêve érotique pendant la nuit mettant en scène quelqu’un avec qui vous n’avez qu’un rapport de travail, le lendemain vous vous sentirez un peu bizarre face à cette personne. Malgré vous, ce rêve va faire partie de votre réalité de ce matin-là.
Comment avez-vous travaillé la mise en scène ?
La logique des scènes était celle du ressenti, de ce qui ne se montre pas, justement. Par exemple la scène où Tanguy vient chercher Luhel à son hôtel, la nuit, et l’empoigne par surprise : de par le fait de l’action, des acteurs, de la mise en place, elle a une réalité. Mais sa légère incongruité dans le cours du récit crée déjà un décalage. Et le fait de la filmer comme Luhel l’a ressentie, voire s’en souviendra, plutôt que comme elle s’est effectivement déroulée, crée un léger sentiment d’irréalité.
De même les scènes fantasmées du film font partie intégrante du récit. Elles sont très marquées, elles se fichent du réalisme comme du bon goût, elles arborent la part de trivialité du désir. Je ne veux pas l’éluder cette part-là, donc je la filme. Je ne veux pas aller jusqu’à l’extrême émotion où ce désir va plonger Luhel en l’enjolivant. Pour moi, tout ça fait partie de la même réalité et il faut s’arranger avec l’un comme avec l’autre. Si l’on élude l’un, on décrédibilise l’autre. À la mise en scène, je n’avais pas le droit de me censurer. Je devais oser ces plans un peu outrés de fantasmes, autant que la simplicité d’un plan fixe qui traque la vérité d’un instant, ou encore ces scènes de nuits américaines retravaillées en numérique, juste pour retrouver la sensation du souvenir d’une nuit étoilée qu’aucune pellicule ne permet de capter.
Comment avez-vous travaillé avec Jalil Lespert et Aurélien Recoing ? J’avais déjà tourné avec Jalil Lespert en 1998 dans mon court métrage «Bonne résistance à la douleur». Il avait, dès ses débuts, une présence à l’image extrêmement forte, charnelle, et un naturel inné. Plus il évolue, plus il arrive à apporter une complexité et une profondeur à ses personnages, sans perdre ce naturel. C’est un acteur très intéressant à diriger et à filmer. Il n’est pas forcément docile, il se révolte, il discute, mais au bout du compte à chaque fois il plonge, il va au bout des choses et il continue à me surprendre.
Aurélien Recoing, je l’avais vu dans plusieurs films. Il possède également cette présence physique indéniable. C’est un acteur très réfléchi, très construit dans son rapport à son métier. Il est en perpétuel travail, dans la précision, l’ajustement. À l’écriture, je n’arrivais pas vraiment à mettre un visage sur le personnage de Tanguy, il fallait un acteur séduisant, mais aussi puissant, intrigant… et qui possède une part de trivialité… tout en demeurant fascinant… Ce n’était pas du tout évident de trouver un acteur qui parvienne à exprimer tout ça, non seulement par son jeu, mais par sa présence, par son corps. Nous avons beaucoup répété, Aurélien et moi, avant le tournage, il a suivi une préparation physique, et il est parvenu à tout réunir, en donnant une espèce d’évidence à son personnage.
Propos recueillis à Paris, septembre 2004.
Ici une jaquette non assumée par le réalisateur...
Et là une séquence de nuit américaine coupée au montage...
LISTE ARTISTIQUE Lieutenant Luhel Jalil LESPERT Monsieur Tanguy Aurélien RECOING Major Le Méner Patrick ROCCA Adèle Doria ACHOUR Nathalie Florence LOIRET-CAILLE Ex-femme de Tanguy Lucy RUSSELL Compagne de Tanguy Anne COESSENS Maîtresse de Tanguy Alexandra LONDON Le vieux Goulven Fred ULYSSE L’adjointe au maire Anne-Louise TRIVIDIC Brigadier Beaupré Eric SAVIN Gendarme Guillou Loïc HOUDRÉ Richard Guillaume BIENVENU |
LISTE TECHNIQUE Réalisation Pierre Erwan GUILLAUME Scénario et dialogues Pierre Erwan GUILLAUME avec la collaboration de Zoé GALERON Gladys MARCIANO 1er assistant à la mise en scène Sébastien DEUX Scripte Sophie AUDIER Casting Stéphane BATUT Image Pierre MILON, A.F.C. Son Philippe LECOEUR Valérie DELOOF Peter MAXWELL Décors Igor GABRIEL Costumes Judy SHREWSBURY Montage Anne RIEGEL Maquillage Nathalie TABAREAU Musique Sarah CLASS Roland CAHEN Production Dominique ANDREANI Christian BAUTE |